Kamel Mili et Feïz Sfar par Sylvie Verny critique d'art ( première partie )

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SYLVIE BOURGOUIN - VERNY

 

 

 

     

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                              

                                       LA PEINTURE MAHDOISE

    

                DEUX CRITIQUES : KAMEL MILI et FEÏZ SFAR

 

 

 

       

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUIN 2008

 

                                                            KAMEL MILI

 

 

 

 

Né en 1962 à Mahdia

Artiste peintre autodidacte

Président du Forum

Membre de l’Union

Expose depuis 1990

 

 

 

 

 

 

La rondeur protectrice des chapeaux, la longueur élégante des écharpes blanches, la dignité salvatrice des voiles, les personnages de Kamel Mili avancent avec la grâce d’un vendredi de marché à Mahdia. Les couleurs chaudes et naturelles, terriennes et maritimes de l’ocre, du rouge, de l’orangé et de l’infinie déclinaison des bleus soulèvent la poussière du sol dans un instantané intense du mouvement.

 

 

                                  

                                                      

 

           

 

Les barques du Vieux - Port et le pêcheur coiffé ancrent le temps dans un arrêt sur image du bleu de l’universel tunisien. La Méditerranée peinte comme une fleur que l’on cueille, à portée de main, le filet dans l’eau adoucit la Mer, la rend docile et calme, attendrissante.

La pêche éternelle, noblesse de l’écoulement et de la traversée du temps, la reprise des mailles des filets, pureté d’une occupation, laissent les rames libres, flottantes, apprivoisées. Un lac.

                                              

La touche épaisse, infinie de la mer par tons pastels blancs et bleus tresse la toile. Deux barques parallèles, similaires, complices se croisent, instantané d’éternité, arrêt sur image mahdoise. Le même chapeau que sur la scène urbaine protège l’élégance du travail humain, la forme ronde rapproche le pêcheur qui poursuit ainsi son travail au zénith.

 

Le reflet de l’image dans l’eau voudrait prolonger ou contenir cette beauté. L’homme de la mer travaille en chemise blanche comme le voile de la femme porté dans la marche urbaine. Le blanc du ciel, le blanc de la barque, le blanc du vêtement illumine de clarté l’immobilité de la barque arrêtée.

 

Passé l’art figuratif et traditionnel des scènes de la quotidienneté mahdoise, Kamel Mili trouve son style même s’il reprend les thématiques marines. Un mur peint de blanc et de bleu barre alors l’horizon, rectangles de peinture au couteau, le ciel et la mer se rejoignent. La toile atteint la modernité dans la forme cubique, angulaire du rectangle. Les hommes travaillent encore dans l’osmose ou l’harmonie maritime. La pêche reste une activité noble, ancestrale, les hommes de la mer entrent dans le mythe de la Mer Méditerranée. Le blanc des chemises, des barques se mêlent encore au bleu de l’horizon pour illuminer la toile de son éblouissement.

 

 

   

                                                                                                         

 

 

 

Enfin, Kamel Mili accroît sa distance avec le figuratif, le réalisme et accentue sa manière propre de la peinture au couteau par rectangles de couleur successifs.     

 

Les scènes mahdoises de souk, de marché, que l’on ne veut pas quitter, de marche en ville s’enchaînent dans la beauté d’une palette blanche et bleue. Le camaïeu des bleus, cobalt, outre - mer, indigo rend maritime une scène de ville, vive, moderne, dynamique.

 

La peinture de Kamel Mili, privilégiant le motif de la vie quotidienne et traditionnelle se rapproche de l’Ecole de Tunis tout en renouvelant la manière de représenter tant la réalité que l’imaginaire tunisien. Le peintre avec son art « nouveau » met en valeur les traditions ancestrales, garde une sensibilité populaire en leur octroyant une touche moderne de superposition et sait renouveler l’essentiel de l’art pictural traditionnel. Les œuvres sollicitent l’œil et l’émotion par leurs couleurs diurnes et nocturnes tout à la fois et le cœur par les thèmes inspirés des lointaines et non moins vivantes traditions.

 

Aux figurations traditionnelles trop lucides, trop extérieures, il ajoute la projection inédite née de la superposition, à la frontière du réel et de la subjectivité ou le souci volontariste de construire est relayé par le mouvement plein d’émerveillement des êtres et des choses.

 

Kamel Mili est le témoin du monde, de sa ville et garde la probité de « réciter » les choses. En les décrivant, il modifie les références au réel, son système de coordonnées du visible sera la mouvance, l’instant photographié où explosera la beauté de Mahdia. L’univers de Mili marque la volonté de rejoindre, d’avancer, de toucher la modernité, de ne pas s’arrêter.

 

 

Le quadrillage d’une rue pavée parallèle au souk, les briques de couleur d’une maison en devenir ou en construction, les scènes mahdoises s’éternisent entre la mosquée et les cafés ombragés de la Place du Caire, le camaïeu des orangés comme un plateau de fruits. La beauté de sa peinture est dans sa vivacité, l’agilité, le mouvement qu’elle attire et réfléchit.

 

Si dans la thématique, les scènes traditionnelles sont préservées et exposées, Kamel Mili quitte l’enluminure et l’arabesque, les formes de l’art de l’Islam pour rejoindre l’Europe et la forme cubique du carré et du rectangle. L’angle droit, certes de couleur, conceptualisé devient la norme comme si la volonté de bâtir passait par l’usage de l’angle et de la droite, trouvant dans la forme géométrique une force de cohésion, d’enracinement, de rassemblement.

 

 

                                                          

                                                                                                                                                                     

 

 

 

 

Kamel Mili, homme vif, charmant, raffiné et civilisé poursuit sa quête d’un ailleurs en bâtissant

de sa chaude palette les chemins de traverse, les passerelles possibles, unificatrices entre Orient et Occident. Ces toiles dans l’Atelier sont comme intégrées aux ruelles de Mahdia, aux échoppes, aux boutiquiers, offertes aux passants, aux habitants, aux touristes de passage. Accueillantes et souriantes, elles ont les couleurs vives qui éveillent et apaisent. L’émotion reste grande quand un peintre peint son lieu d’origine, natal. L’homme et l’oeuvre par la langue et le langage de la peinture renvoient en émouvant à Mahdia, la ville, la capitale originelle.

 

 

Cet ailleurs peut être rattaché à une localisation réelle avec ses matériaux et à l’élaboration d’ une tradition culturelle. La narration de Kamel Mili tiendrait ainsi de l’art du conteur populaire. Même transfigurées par la modernité, l’artiste laisse entrevoir les lignes douces et pures du vieux bassin portuaire punique ou la vie calme des pêcheurs déroulant leurs filets jusqu’au bord de l’onde et autre lieu, autre paysage de son enfance, les ruelles centrales de la ville entre souks, minarets, et mosquées.

Il livre les mêmes images sans cesse renouvelées d’une conscience mondiale de la Méditerranée régnante, historique et conquérante, préservée et rayonnante, retrouvée de toute éternité, de la joie de la mer en aller avec le soleil.

 

Kamel Mili marche aussi dans ses rues qui sont les siennes et apparaît comme un peintre enraciné dans le paysage urbain, fort et en devenir, tissant de sa palette narrative l’actualité mahdoise. Ses triptyques comme des retables avancent telle la marche vive de cinq heures, le thé à la menthe, la criée du port, le rythme des travaux et des jours.

 

 

 

 

 

           

                                              

 

L’impulsion créatrice est relayée au moyen de la syntaxe de la peinture. Par une ambiguïté spatiale et temporelle, Kamel Mili distribue le temps comme les cartes de Mahdia, à la rapidité et à l’importance d’une ancienne capitale. Les lieux de pouvoir et les lieux sacrés s’exposent par l’opposition ou la confusion entre le fermé et l’ouvert, le dedans et le dehors. Les histoires de Kamel Mili semblent chargées de sagesse, absorbée dans la quotidienneté avec ses espérances et ses inquiétudes, luttant contre le temps, frappant aux murs de la peinture avec la force de ses pigments, brisant les portes des durées, des hiérarchies et des institutions pour retrouver, rejoindre son Atelier.

 

Le peintre réorganise les éléments du visible pour exprimer sa réappropriation ou sa remémorisation de Mahdia. De ce flux intérieur naît sa propre expression plastique, ses « motifs » graphiques et chromatiques où la forme  prolonge la vision du peintre. Est - ce une poétique de la disparition qui s’opère, un effacement des yeux qui annule la cartographie du visage et atténue les limites du paysage, un mode d’expression en devenir, à définir ?

 

Dans le style de Kamel Mili se lit en filigrane les cieux et les marines de la palette impressionniste et une certaine véhémence expressionniste enracinée dans l’enfance. Cet art de la mémoire au rythme soutenu et effervescent est à la fois un mode de vie et une stratégie tendant à conjurer le temps. Construire, toujours construire, bâtir et rebâtir les décors de la ville natale éternelle, composer et recomposer l’espace et le temps, le chevalet de la mer, la palette des ruelles, la pérennité des échoppes. Kamel Mili glisse dans Mahdia comme les barques quittent le vieux port, sa marche sûre et rapide conduit à l’Autre, à la grotte des amis, aux sourires amitieux des travailleurs de la mer, pêcheurs, marins, plaisanciers, navigateurs à l’aventure sereine de la peinture renouvelée. Fier de son art, il impose la vision du royaume méditerranéen,  la certitude de son accomplissement, la transmission de la conservation transfigurée de son patrimoine.

 

Les couteaux de Kamel Mili fendent la toile comme la brise traverse l’espace. La peinture voit, la peinture tranche, le peintre décide, conserve, éveille le sens et ouvre un espace de parole, de controverse et de civilité. La beauté vive qu’ils répandent sur Mahdia, leurs forces fauves, unifie, ressource et revivifie, reproduisant à l’intérieur la vigueur marine.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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